OOO
Messages : 223 Date d'inscription : 02/08/2010
| Sujet: Quand la sagesse danse : MAWLANA ET LE SOUFISME par Michel RANDOM Lun 2 Aoû - 19:47 | |
| ... http://www.revue3emillenaire.com/blog/?p=3468(Revue Énergie Vitale. No 7. Septembre-Octobre 1981) - Michel RANDOM a écrit:
Quand la sagesse danse : MAWLANA ET LE SOUFISME
Le soufisme est beaucoup plus qu’une voie spirituelle c’est une alchimie de la spiritualité. Il nous fait pénétrer dedans, dans l’acte spirituel lui-même, et aussi dans ce qui est. De ce qui est il nous donne le goût, il exprime la saveur, il fait résonner et vibrer du dedans la substance.
Autrement dit le soufisme fait progresser d’un état de signification à un autre, il nous donne une voie qui exprime comme le disait Henri Corbin « la conjonction du sensible et du spirituel ». Le soufisme procède un peu comme le zen. Il ne nous dit pas ce qui est, il nous introduit dans ce qui est. Le propre du soufisme s’exprime ainsi symboliquement par un voyage, le voyage des dévoilements, le voyage au centre du centre. Dévoiler les états et les plans successifs de l’être c’est à la fois les connaître, les établir, les signifier et par-dessus tout les dépasser. C’est le sens du voyage ou de l’errance spirituelle : « je ne viens de nulle part, je ne vais nulle part, je vais de Dieu à Dieu » disait Baha ud-din Walad le père de Mawlana.
On peut ainsi dire qu’il n’existe qu’une seule réalité : l’Être, qu’une seule connaissance : la fusion amoureuse. C’est pourquoi il est dit que ce qui est lumière se fond dans la Lumière. Et c’est là à la fois une vérité physique et spirituelle.
Le soufisme s’adresse comme toute mystique à la fusion amoureuse, qui est l’ultime connaissance. Celui qui a réalisé son unité en lui-même a réalisé son unité en Dieu. « Dieu c’est moi » crie Halladj au 9è siècle et ce cri va déchaîner la plus grande controverse de tout l’Islam entre les mystiques et les orthodoxes. La loi musulmane (la sharia) considère que l’accès de l’homme à Dieu se fait à travers le Prophète Mohammed. La conjonction mystique apparaît comme une hérésie digne de mort. Et effectivement le cri d’Halladj le conduisit à être crucifié et mis à mort.
Il existe donc l’Un et au-delà tout ce qui est extérieur à l’Un : l’ensemble du spirituel. Il n’existe pas trois mondes : un matériel, un spirituel et Dieu par dessus tout. Cette division de l’être ne tient pas face à la réalité. En fait la réalité est une. Et les physiciens aujourd’hui sont parvenus aux mêmes conclusions.
Au-dessous de l’Un existe la réalité phénoménologique qui émane de l’Un, elle en possède toutes les propriétés et toutes les qualités, mais la réalité telle que nous la connaissons est un épiphénomène de l’Un. L’originalité du soufisme c’est de montrer qu’il existe comme une échelle apparente, une progression possible des états de l’être qui s’inscrivent à l’intérieur de ce monde phénoménologique et qui expriment en raccourci ce qu’est la Possibilité Universelle à l’échelle cosmique.
Nous pouvons donc dire qu’un événement dans l’esprit est un événement dans le ciel, c’est-à-dire une réalité aussi vraie qu’elle est illusoire et en même temps essayons de comprendre : si le désir de Dieu existe en l’homme, celui qui exprime ce désir se rend à Dieu, fait don de lui-même à Dieu, et néanmoins ce don même est « suggéré » c’est une invitation qui vient de Dieu. Ainsi apparaît la compassion du divin qui nous offre la possibilité de Lui donner ce qu’Il nous a Lui-même remis.
Cette idée de l’« unicité de l’être » représente la doctrine centrale du soufisme… « Il n’est de réalité que Dieu », « il n’est de divinité que Dieu », enfin « il n’est de réalité que la réalité ». (TAWHID). Le soufisme ne peut donc être un acte d’adhésion mentale, ou de compréhension intellectuelle ou spirituelle, il demande une adhésion totale. Une ouverture à ce qui en moi connaît pour que je sois connu. La connaissance est un témoignage que la connaissance se fait à elle-même, un hommage à travers soi de Dieu à Dieu. Ce témoignage (shahâda) ne peut être le fait de l’esprit mais du cœur. Le cœur est ce qui est éveillé, ce qui chante et enchante l’être, c’est la lumière bondissant dans sa joie d’être lumière, c’est le créé brûlant de tous les feux et de tous les jeux de cette création. Le cœur est le vrai siège, dans le soufisme, de l’Intellect et de l’Esprit. Il est la flèche amoureuse qui pénètre le réel et l’ensemence en quelque sorte, il est le miracle omniprésent de l’amour en action dans la conscience de chaque être et de chaque chose.
C’est ainsi par l’ouverture de l’œil que l’être sait ce qu’il croyait ne pas savoir, il apprend ce qu’il pensait ne pouvoir apprendre. Il devient habité de regards, habité de joies, et souvent habité de pouvoirs divers, car toutes ces manifestations sont la grâce active du divin.
Djallal ud-din Rumi (1207-1273) que les persans appellent Mawlana et les turcs Mevlana, représente par excellence cette essence du soufisme ouvert sur la connaissance amoureuse, la mutation de soi, la connaissance par l’abandon inconditionnel de soi dans les mains du maître, et enfin la connaissance révélée, celle qui est donnée par l’initiation et la communion avec le divin. Il n’est pas facile à ce titre de décrire en quelques lignes un homme qui est à la fois un immense poète, un grand sage et un mystique possédant les clefs secrètes de la connaissance. Pour les foules qui se pressent encore aujourd’hui dans le « Musée de Mevlana » à Konya (son ancien tekke ou école) pour tous les persans qui lisent dans leur langue les histoires et les poèmes du « Masnavi » son œuvre maîtresse, ce qui commande leur relation spirituelle avec Mawlana c’est avant tout un sentiment de vénération et d’amour. Un amour qui vient de ce sentiment d’être inconditionnellement acceptés, quel que soit le degré spirituel et l’origine de l’homme. Mawlana partage en ce sens l’attitude du Christ qui accueillait indistinctement tous les êtres dès lors qu’existait en eux l’ouverture et la conversion du cœur. C’est l’élan fondamental qui porte les riches et les humbles, les chrétiens et les juifs, les musulmans et les hommes de toutes fois et de toutes religions vers Mawlana comme pour répondre à son invite quand il s’écrie :
« Viens, viens, qui que tu sois viens. Que tu sois méchant ou guèbre (adorateur du feu) ou idolâtre, viens.
Notre seuil n’est pas le seuil du désespoir.
Même si tu es cent fois parjure, viens. Que tu sois Persan ou Grec ou Turc apprends la langue de ceux qui n’ont pas de langue. »
Comme on le sait Mawlana est connu pour être le fondateur de derviches tourneurs. Mais c’est celui qui pendant quelques brèves années fut son maître : Shams de Tabriz, qui lui rappela l’importance du sama, c’est-à-dire la danse célèbre des derviches tourneurs. Il est difficile de comprendre par ailleurs Mawlana sans connaître qui était Shams de Tabriz à qui il consacra une œuvre de 24 000 vers : le Divan (ou Odes à Shams de Tabriz). C’est un immense poème d’amour comme on pourrait le dédier à une femme. Mais ici l’amour est le lieu alchimique d’une rencontre et d’une mutation qui allait transformer profondément Mawlana, donner une tournure dramatique à sa vie, mais le révéler au point que parlant de son maître il dira : « J’étais cru, je fus cuit, je suis consumé » pour évoquer les trois phases de ce qui fut véritablement comme une mort et une renaissance à lui-même.
Le soufisme reste aussi secret que vivant dans le monde de l’Islam. Les écoles soufies ou tarika sont secrètes parce que leur existence dérange profondément l’Islam orthodoxe et traditionnel. La mystique a été de tous temps mal vue, mais les temps modernes rendent l’ouverture du cœur encore plus suspecte. Comme me disait une autorité musulmane orthodoxe « le soufisme est notre pire ennemi, il parle de l’amour, et sous prétexte d’amour, les pires hérésies peuvent se glisser dans l’Islam. » A ce titre les soufis se trouvent fréquemment persécutés par les Mollahs et les Imams. Pour éviter les critiques, les soufis témoignent en fait d’une rigueur exemplaire dans la pratique quotidienne du Coran. Ils sont les fidèles exemplaires parmi les fidèles, et leur ressemblent en tous points, à ceci près c’est que leurs prières et l’esprit intérieur de sacrifice est en eux comme un état ou une oraison qui n’aurait jamais de fin.
Aborder la tradition soufie c’est découvrir le monde des lumières, la géographie de l’ascension qui donne à l’homme ce corps de lumière qu’il peut découvrir de son vivant comme un corps réel. La richesse des textes soufis, la splendeur de leurs visions et de leur sagesse est parfois sans limites. Aborder le soufisme c’est entrer dans une connaissance secrète profonde et peu dicible de soi et de la réalité divine. Si le soufisme est la voie des dévoilements, ce dévoilement est comme une ivresse et un étonnement sans fin.
POUR EN SAVOIR PLUS : Un livre de Michel Random, Mawlana, le soufisme et la danse (Sud Éditions). Un beau et grand livre où la beauté de l’image évoque la beauté spirituelle.
Omar Michael Burke, Avec les Derviches, de la Mecque au Nouristan (Ed. Le Courrier du Livre). Récit de la quête, des rencontres et des découvertes de l’auteur.
Idries Shah, Contes derviches (Ed. Courrier du Livre). Ces contes sont aussi des « histoires-enseignements » capables de communiquer au lecteur ce qui ne peut l’être par aucune autre convention. ... | |
|
Miléna Admin
Messages : 1792 Date d'inscription : 18/10/2009 Localisation : Paris
| Sujet: Re: Quand la sagesse danse : MAWLANA ET LE SOUFISME par Michel RANDOM Lun 2 Aoû - 21:24 | |
| Très intéressant, merci pour ce texte.
"Le soufisme est beaucoup plus qu’une voie spirituelle c’est une alchimie de la spiritualité."
Je pense également que la modernité encore incomprise de l'islam s'exprime dans le soufisme, il est évident que cette pensée religieuse n'est pas encore arrivée à maturité au sein de l'inconscient collectif.
"La mystique a été de tous temps mal vue, mais les temps modernes rendent l’ouverture du cœur encore plus suspecte."
Alors qu'il n'y a que le coeur ... | |
|